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jeudi 21 septembre 2023

Cardon : Ras-le-bol (2022)


A part la chanson de Gilles Servat "Les prolétaires", redécouverte la semaine dernière, je ne connais rien de plus déprimant ni désespérant que les dessins de Jacques-Armand Cardon, qui dépeignent de manière magistrale et allégorique les souffrances de la condition ouvrière humaine au vingtième siècle. 
(Daniel Goossens a décrit par ailleurs les souffrances de la condition ouvrière fourmi au vingtième siècle, comme ça à eux deux ils ont fait le tour du problème). 
Cardon, je l'avais totalement oublié, depuis les illustrations muettes dans l'Humanité-Dimanche des années 70, qui me laissaient blême après les avoir contemplées d'un œil d'enfant impie et hagard (longtemps avant que mon œil vire hippie et hangar).

Les dessins de Cardon sont reconnaissables au premier coup d'oeil, 
même si ça fait 50 ans qu'on n'en a pas vu la queue d'un (sic). 
On retombe dessus par hasard, et on s'écrie "Cardon, putain, Cardon !"
aussi fort que si on se rappelait tout d'un coup
qu'on s'était fait violer par Georges Marchais quand on était petit,

mais que on avait tout oublié suite à un syndrome post-traumatique aigü.

J'ignorais alors tout de Kafka, Topor, Gébé, ou Francis Masse, s'il existait une version muette de Francis Masse, dont le lettrage des phylactères serait infiniment plus reposant pour les yeux, et qui sont les cousins germains de ce Cardon qui réussit à beaucoup publier dans la presse communiste de l'époque alors qu'il n'était pas du sérail (Pif le Chien fut publié plus longtemps que les bonhommes déshérités de leurs fringues et du reste de Cardon, mais Pif le chien c'était en strips quotidiens dans l'Humanité (pas -Dimanche).

Cardon et Pif le Chien dans l'Huma
sont les deux mamelles que j'ai sucées
pour nourrir ma conscience politique naissante.

Cardon, je l'ai vu l'autre soir sur LCP dans l'émission de Patrick Cohen "Rembob'INA" dans laquelle Patrick réhabilite le patrimoine télévisuel qui sinon pourrirait doucement comme Swamp Thing dans les archives de l'INA, ce jour-là l'émission portait sur "Du Tac au Tac", joute graphique en forme de cadavre exquis entre auteurs de BD du début des années 70, imaginée par Jean Frapat. Une idée géniale, réalisée avec trois francs six sous, et qui a dû susciter bien des vocations de dessinateurs.
D'ailleurs, je le crois pas, mais le jour où je rédige cet article ils viennent de mettre l'émission en ligne, ce qui est le signe que j'attendais du Ciel où trône mon dieu laïque pour poursuivre mon effort rédactionnel.


(l'émission a été retirée du réseau de diffusion entretemps, et c'est bien dommage)
Du jour où j'ai revu Cardon sur LCP, sémillant malgré son grand âge et l'amertume sans nom qui suinte de ses dessins, mon amnésie a été levée d'un coup. Il a fallu que je coure à la librairie acheter Ras-le-bol, somptueux recueil de ses demi-pages parues dans l’Humanité Dimanche et à Politique Hebdo de 1970 à 1976.
C'est publié aux Requins Marteaux, sans la faucille.
C'est du grand Art. 
Contemporain. 
(Alors que l'art contemporain me fait désespérer et de l'art, et de mes contemporains). J'aurais préféré y trouver ses dessins muets, plus intemporels, dont il en existe plusieurs recueils, plus rares et aussi convoités que le Nécronomicon de l'arabe dément Abdul Al-Hazred :
mais on va pas chipoter pour si peu. Réécouter un vieux Cure en même temps, c'est la garantie assurée sur facture de ne pas survivre à la prochaine soirée Théma sur Arte, dont les choix éditoriaux sont le prétexte rêvé à tant de suicide-parties que les Boches n'auront pas, sauf ceux qui regardent Arte.

Quelques dessins, toutes périodes confondues :










quelques scans que j'ai faits de "Ras-le-bol" :
(clique sur les images, n'aie pas peur, ce n'est pas sale,
et tu les verras en plus grand)

quelques liens, bien trop peu nombreux :

https://www.lambiek.net/artists/c/cardon_jacques_armand.htm

https://ecc-cartoonbooksclub.blogspot.com/2015/05/satirix-cardon-edition.html

https://fr.wikipedia.org/wiki/Jacques-Armand_Cardon

https://lanticapitaliste.org/opinions/culture/ras-le-bol-de-bernard-cardon

https://www.benzinemag.net/2023/03/26/ras-le-bol-de-cardon-ces-annees-70-qui-sonnerent-le-glas-des-illusions/

https://superlotoeditions.fr/livres/ras-le-bol/

Le Cardon : Dessins est épuisé.
Moi aussi.

jeudi 30 mars 2023

Lankum : False Lankum (2023)

La chroniqueu de télérama concernant le nouvel album de Lankum, chroniqueu qu'il est absolument forbidden de recopiai issi sinon tu va direkte en anfaire, mais il fo savoir transgresser utile :

“False Lankum” : Lankum met le feu aux ballades irlandaises

Critique par François Gorin
Publié le 24/03/2023

Le quatuor dublinois ne se contente de revisiter des chants traditionnels, il en fait des lance-flammes, sous influence metal et rock post-industriel. Un album dément, à l’image du morceau “Go Dig My Grave”.

Pour faire juste sort à ce disque proliférant, il suffirait peut-être de détailler son premier morceau. Go Dig My Grave remonte à loin, quand vers l’an 1611 Robert Johnson (le compositeur anglais, pas le bluesman américain) donna forme à cette ode immémoriale à la terre supposée ensevelir le poète. Radie Peat, la voix féminine de Lankum, l’entonne une minute a cappella, déjà nous transperce quand viennent l’envelopper des sons barbares – qu’on dirait produits par des instruments tous récupérés à la casse et traités dans un creuset de laboratoire –, puis la voici doublée par un timbre mâle, des cloches annoncent un tournant à mi-course, une sirène au loin, des rythmes sourds, le bourdon d’un drone, un lancinant train d’enfer.

si tu vas regarder le clip sur Youtube, et que mû par une saine curiosité, tu cliques sur "plus" sous le clip, tu auras la joie de voir s'afficher les paroles de ce traditionnel, aussi poignantes que tu l'imaginais rien qu'en regardant la vidéo. Merci qui ?

Huit minutes quarante et une secondes, c’est le tarif moyen pour un extrait du quatrième album de ce quatuor dublinois, que les frères Ian et Daragh Lynch avaient d’abord nommé Lynched, mais ça sentait encore trop la corde. Avant d’enregistrer cet opéra rude et tumultueux, les musiciens sont allés humer les embruns, capter l’écho des chants de marins. Chez eux on ne soigne pas les traditionnels comme on astique l’argenterie. On leur secoue les puces, on les frotte au fracas du monde, et jaillissent alors les éclairs d’une beauté inouïe. Une gigue s’endiable au son d’accordéons fantômes. À une ballade délicatement transie on inflige un maelström de pales d’hélico, flûtes et forge. Et si, à la fin de la chanson, une Mary meurt empoisonnée, ce n’est pas faute à la bière ou au whiskey.

Le british folk a souvent connu des groupes qui enfonçaient joyeusement les portes du temple, Fairport Convention dans les années 1970, les furieux Pogues une décennie après… Lankum semble avoir traversé le pays du metal et le brasier postindustriel de Godspeed You ! Black Emperor, tout en gardant ses finesses acoustiques et ses voix sans âge. Ici rôde la figure encapée de la mort (l’Ankou ?) et un gros vent salubre pourrait tout emporter. Cet album est proprement dément.

Je plussoie grave. Pensez à les réserver, pour vos prochains enterrrements, ils mettront une sacrée ambiance.

Où le trouver :

https://lankum.bandcamp.com/album/false-lankum

il fait suite à celui-çi :

https://jesuisunetombe.blogspot.com/2020/10/lankum-livelong-day-2019.html

et impose sa majesté tragique à la face de Le Monde, même pour les non-abonnés.

le clip de “Go Dig My Grave” est coproduit par le sponsor officiel du groupe :
LeChoix Funéraire. ("si j'avais le choix, y serait pas funéraire")
Il renvoie Ari Aster et Robert Eggers au Néant qu'ils n'auraient jamais dû quitter.

jeudi 5 novembre 2020

Peter Gabriel - Peter Gabriel IV "Security" (1982)

Prototype du masque de chaman FFP2
© Peter Gabriel 1982

En 1982, Peter Gabriel abandonne ses derniers oripeaux pop-rock et prog-rock pour créer de toutes pièces la pop ténébro-tribale, selon l'expression consacrée du site tripier consacré aux musiques qui n'ont pas la lumière à tous les étages gutsofdarkness, surprenant ainsi tous ses amis choisis par Montaigne et la Boétie. 
Une nuit où il avait oublié d'enlever son masque de chaman pour dormir, ce qui constitue peut-être une stratégie inconsciente d'l’effarouchement renforcé vis-à-vis de sa femme, qui sinon ne manquait pas une occasion de le taquiner au lit, il a vu en rêve Donald Trump triompher aux élections du futur, (rêve qui a aussi été envoyé à Stephen King qui en tirera Dead Zone), alors Peter décide de tout faire pour éviter ça; avec son armée des 12 singes, qui tapent comme des sourds sur leurs tambours, il compte bien l'arrêter avant que le grand anthropoïde accède à la présidence. Il faut choquer le singe, comme le suggère finement le titre phare de l'album. Car Peter n'est pas tombé de la dernière pluie, il a lu ce passage flippant dans le cours d'orthologique de Jacques Dartan :
"Tous, tant que nous sommes, avons en nous "quelque chose" qui veut toutes les femmes et tous les biens de ce monde : c'est la règle chez les primates, et elle repose sur des instincts qui s'éternisent chez les humains. Mais ce n'est grave et dangereux qu'autant que nous en sommes inconscients. C'est alors seulement que nous agissons en gorilles. C'est alors seulement qu'avec l'habileté infaillible qui marque du sceau de l'inconscient nos comportements ataviques, nous découvrons les moyens de parvenir à nos fins souterraines. Nous trouvons les astuces qui nous permettent de conserver et même d'appesantir notre autorité de singes sur ceux qui, en raison de notre mortelle ignorance des rudiments d'une biosociologie à peu près scientifique, sont restés sans défense contre des classes dirigeantes restées elles-mêmes à la merci de leurs instincts de primates."
Résultat des courses : le masque de chaman a beau orner la pochette du disque since 82 pour effrayer les moineaux et les infidèles, ça fait presque quarante ans qu'on s'époumone à brailler "Shock the Monkey", sans qu'on ait pu conjurer le maléfice : le Monkey siège toujours à la Maison Blanche, et n'a pas l'air décidé à s'en aller.
La seule bonne nouvelle, c'est que le disque n'a pas pris une ride.


mardi 2 juin 2020

[Repost] - Minimal Compact - Deadly Weapons (1984, Reissue 2003)

dimanche 11 janvier 2015

L'épouvante est un remède honorable à la mélancolie.



Dehors, il fait un temps à écouter ça.
Dedans, pas mieux.
Comment résumer cet album ?
Trois options :

1/ Erudition :
Rappelons aux plus jeunes que le groupe était constitué d'Israéliens émigrés en Belgique, mis à part le batteur qui était hollandais. Il est donc parfaitement logique qu'influences orientales et occidentales s'y mêlent. La musique de Minimal Compact pourrait en effet être décrite comme un mélange de cold wave et de musique orientale, comme le fruit des amours de Joy Division et d'Oum Kalsoum...

2/ Pertinence et impertinence :
Laconique commentaire d'un auditeur inspiré sur le forum Guts of Darkness, qui n'était pas d'accord (moi non plus) avec sa critique tiédasse :
Moyen Orient + Belgique 80's + cold wave = boucherie (casher, mais boucherie quand même).

3/ A la Warsen :
Un long cauchemar éveillé, traversé de lamentations, de cris de rage, d'un désespoir ontologique, suintant et mortifère, que rien ne viendra adoucir dans un crépuscule musical permanent, illustration sonore magnifique et glaçante de ma blague préférée de Salman Rushdie dans les Versets Sataniques : "Le monde est l'endroit dont nous prouvons la réalité en y mourant".

Bon, faut dire aussi que quelques joyeux lurons de Tuxedomoon étaient venus leur prêter main-forte.

Pistes préférées : (on s'en cogne la teub contre le mur des lamentations)
The Well
There's Always Now
Nada
Not Knowing
Burnt-Out Hotel

Enjoy !



Pour détendre un peu l'atmosphère plombée, car après tout c'est dimanche et les cyber-forçats ont bien le droit de s'amuser un peu, vous pouvez toujours méditer sur le fait que je sois bêtement content d'avoir retrouvé hier soir sur le forum du cafard cosmique cette citation définitive (j'adore les citations définitives) sur le téléchargement illégal : quand tu aimes la musique sans la payer, c'est comme si tu allais aux putes, tu t'amuses bien, et au moment de payer tu t'enfuis en sautillant, le pantalons sur les chevilles, parce que les macs c'est vraiment des connards.

Donc rien ne doit vous interdire d'acquérir cet album sur Itunes s'il vous a complu, poualokü.

mardi 2 juin 2020

rien n'a vraiment changé
sauf que
plutôt que d'acheter ce somptueux album de Minimal Compact avant de se tirer une balle, ce qui est une façon radicale de guérir la dépression post-Covid, autant l'écouter gratuitement sur bandcamp.
https://minimal-compact.bandcamp.com/album/deadly-weapons

Passent les jours et passent les semaines
Ni temps passé
Ni les amours reviennent
Sous le pont Mirabeau coule Warsen.

Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure.

mardi 21 janvier 2020

Lovecraft Facts (6) : The Lighthouse

J'en avais un peu marre de me lover grave dans le crade autour de Lovecraft, alors je me suis dit "tiens et si j'allais au cinéma pour me changer les idées", mais comme je passe le plus clair de mon temps à me pâmer devant l’abîme du Temps généré par mon miroir, mon beau miroir 27 pouces à vortex (vortex \vɔʁ.tɛks\ masculin invariable. Tourbillon creux créé par un écoulement de fluide), finalement le cinéma a trouvé moyen de s'infiltrer chez moi comme un volute d'incendie austral passant sous la porte de mon bureau (que je cherchais vainement et à tâtons pour tenter une fois de plus d'en sortir) pendant que la maison brûle et que la veuve Chirac regarde ailleurs.

C'est un peu facile, de tout mettre
sur le dos des boucs émissaires 
J'attendais impatiemment la sortie illégale sous le manteau (dont Jésus Saint Paul Saint Martin donna jadis la moitié à un pauvre) du second film de Robert Eggers, ayant apprécié le climat franchement anxiogène et subtilement paranoïaque quoiqu'un peu malsain de son premier film "The Witch", très remarqué à l'époque par l'Amicale des Pétochards de Fauteuils, avec le soutien implicite de la Communauté du 1080p Tombé du Camion Juste Avant la Sortie en Salle, même si la résolution de l'intrigue du film m'avait paru décevante et en contradiction avec l'argument soutenu pendant tout le métrage qu'il était pas si long que mon article.
Un critique semi-professionnel s'en était ému, me privant du bon pain de mettre ses mots dans ma bouche puisqu'il les avait mis dans mes yeux :
Avouez que c'est quand même bien pratique de trouver grâce à internet des gens qui se creusent le ciboulot pour fournir des explications univoques à des films qui se complaisent dans l'équivoque et l'espièglerie de l'ambiguïté à choix multiple, pour peu que vous soyez hermétiques à l'implicite vous repartez les bras ballants et le bec dans l'eau.
L'important c'est de pouvoir réitérer ma protestation veloutée sur cette plate-forme à moi que j'ai, quitte à exiger des pouvoirs publics le tournage d'une fin alternative plus satisfaisante pour l'esprit humain et les lois de la sorcellerie en vigueur au XVIIeme siècle, et financée par le biais d'une campagne de crowfunding; protestation veloutée comme un yaourt aux fruits, brassée à ma mesure en jouissant comme un florent pagny âne florent pagny de ma liberté de penser et de me le dire, et de me le faire savoir à grands coups de millions de dollars claqués en bannières gif animées sur blogspot, et de la fredonner dans les commentaires des quelques milliers de blogueurs qui comme moi ont succombé à l'illusion égotiste de toute-puissance de décrire leurs impressions paradoxales du film, dans le fol espoir de devenir des influenceurs aussi constellés d'étoiles que des généraux sur Allociné, ou des leaders d'opinion aux centaines de suiveurs décérébrés sur Sens Critique, pour traumatique qu'ait été l'expérience du visionnage de The Witch, pas aussi éprouvante que le Possession de Zulawski, mais quand même, Eggers dès son premier film s’affirmait comme une valeur sûre du malaise cinématique, et c'est pas donné à tout le monde.
"Rejetée de leur communauté religieuse par un tribunal à cause de l'orgueil et l'intransigeance du père, une famille très pieuse et tourmentée par la vie coloniale sur une terre étrangère et hostile s'installe loin du village fortifié à la lisière de la forêt devant laquelle curieusement elle s'incline, avec interdiction aux enfants de s'éloigner. Les conditions de vie sont très rudimentaires, l'élevage et l'agriculture préférés à la chasse qui devient néanmoins une nécessité."
"Ma sorcière bien-aimée" versus "La petite prison dans la mairie", et bien plus que ça.

Tout concourait à faire de cette tragédie familiale un chaleureux calvaire, mais aussi un plaidoyer anti-obscurantiste, dans la mesure oùssqueu le Mal invoqué comme cause extérieure ne semblait exister que dans l'esprit de ces chrétiens fondamentalistes enfiévrés par le malheur qui s'abattait à coups redoublés sur leur humble chaumine (rudesse du climat, frugalité des récoltes, duplicité des animaux de basse-cour, puberté de la petite mettant son frère dans l'embarras scopique)
"Presque jusqu'à la fin, et c'est toute l'habilité du scénario, le spectateur est amené à penser que ce sont les personnages eux-mêmes, leur mode d'existence, leur isolement contraint, pour ne pas dire leurs dispositions mentales et les circonstances, qui les conduisent à ces extrémités."
C'est ce que je viens de dire, merci.
Sauf qu’à un moment donné, de manière inexplicable, l'intrigue se retourne, le film se parjure, les sorcières dansent, leurs ballets brossent, nos poils se hérissent, et Scorcese se met à tourner pour Netflix.  
Dommage. 
Mais ça avait un petit goût de revenez-y. 
C'était prétentieux, tordu, mais stylé.
D'où mon attente, sans doute disproportionnée, parce que je ne suis l'évolution du marché des films de chtrouille que de loin, qu'il est réputé chiche en Auteurs, et que Eggers avait l'air d'en être un, né d'une éclosion spontanée simultanée à celle d'un autre Fils à Pénible : Ari Aster (Hérédité, Midsommar).
Après avoir suscité de grandes espérances par leurs frayeurs digestes, tous deux sont parvenus à produire, réaliser et sortir un second film en 2019, faisant frissonner d’aise les bourrelets de graisse bio surbronzée des nombreux bobos friqués et autres branleurs californiens privilégiés qui se pressent chaque année à la grand-messe du film indépendant de Sundance dans l’espoir d’y trouver un remède à leur mélancolie de gosses de riches. 
Mystérieusement, ou alors c'est une Fatalité de niveau n+1 et c’est quand même pas de bol, The Lighthouse tombe dans le domaine public l'escarcelle des voleurs de coulures simultanément à sa sortie en salle, tout comme sa grande soeur possédée The Witch s'était retrouvée offerte et pantelante sur les plateformes où le Yog Sothoth du bittorent en freeleech rêgne en Maitre en 2015.

Prochainement en vente dans cette salle ?
Par égard pour ceux qui ne l'ont pas vu et désirent persister dans l'intention de ne pas en entendre parler, je ne voudrais pas déflorer le film, ni même débiter un boniment semblable à celui que mes estimés confrères, professionnels de l'invective cinéma ou proféreurs semi-pro d'anathèmes on-line, n'ont pas manqué d'asséner sur leurs organes de presse, tous ces blogs de cinéphagie si affriolants avec leurs dessous parfumés et leurs bonnes intentions d’apporter la lumière sur tel ou tel chef d’oeuvre méconnu du 7eme art, qu'on en parcourt une bonne dizaine pour se faire une idée cohérente de l'éventail du choix des possibles, et puis on finit par retourner au lit bouquiner du Lovecraft, parce qu'on s'est saoulé grave en laissant tourner l'heure de la dernière séance. Et puis la dernière fois que je me suis risqué à la critique cinéma, j'ai trouvé que c'était un genre littéraire difficile et exigeant. Qu'il valait mieux louvoyer pour contourner l'obstacle du divulgâchage, quitte à bifurquer vers l'expérimental, pour ne pas lasser le cyber-promeneur qui, dès qu'il tombe sur des expressions comme "chaque cadrage est tiré au cordeau" ou " force est de constater la rigueur implacable de l'intrigue", a tôt fait de débusquer derrière la sentence frappée au coin du bon sens le critique en herbe, l'exégète verbeux, celui qui comble son manque à être par l'écriture suppurante et plaintive, l'apprenti moraliste, voire le scabreux scatophage qui se complait dans une pénombre qu'il croit lovecraftienne alors que c'est juste les dieux jaloux d'ErDF qui lui ont coupé le jus pour défaut de paiement.

"La pipe qui s'éteint, la marée le lendemain" (vieux proverbe breton)

Pour dire quelques mots du film sans m'éventrer non plus sur les écueils des mystères qu'il recèle en ses flancs ventrus, je vais les évoquer de façon détournée, tout comme le film ne se gène pas pour aborder certains sujets en nous faisant croire qu'il nous parle de tout à fait autre chose.
L’histoire à laquelle nous sommes priés de croire est donc celle-ci : Deux hommes sont envoyés comme gardiens de phare sur une ile désertique et brumeuse. La durée du séjour a été convenue à l’avance : 4 semaines. L’époque est indistincte, et l’on doit se référer aux déclarations d'intentions et diverses notules pseudo-documentaires mais en fait commerciales (Electronic Press Kit) pour savoir quand et où ça se passe, alors qu'un carton "Au large de la Nouvelle Angleterre, 1895", par exemple, ça n'aurait pas coûté grand chose au producteur et ça aurait utilement renseigné le spectateur qui n'a rien voulu savoir du film avant de le voir, condition de virginité virtuelle requise quand je vais au cinéma ou quand il vient à moi en rampant sous la porte comme ce soir.
L'absence de datation historique est sans doute volontaire, le récit se veut intemporel et sans âge.
Dès le début, on se doute qu'il ne s'agit pas de petites vacances entre amis genre Brokeback Mountain dans votre villa les pieds dans l’eau, mais d'une âpre expérience de survie en milieu hostile, car le confort est rudimentaire (il n’y a pas de wifi) et les deux hommes ont très vite un rapport dominant/dominé, entre le vieux loup de mer qui a tout vu, tout lu mais pas encore tout bu (Willem Dafoe, rocailleux) et son taciturne apprenti (Robert Pattinson, blanc-bec pataud qui ne demande qu'à apprendre, tout en ayant son petit caractère) qui se retrouve commis d'office aux taches subalternes, alimenter la chaudière du phare en charbon, nettoyer la chambrée, préparer les repas... c'est l'occasion d'un douloureux travail de dégonflement de l'égo, et un questionnement de tous les instants sur la légitimité de son plan de carrière qu'il pensait tracé d'avance dans la hiérarchie des fonctionnaires assermentés de la compagnie des Phares et Balises.

Le monde se divise en deux catégories. Capisce ?
Pour l'aspirant Lighthouse Keeper, le stage de fin d'études se transforme rapidement en colonie pénitentiaire au phare Ouest. Les corvées s'accumulent, son maitre de stage est de plus en plus renfrogné de chez renfrogné et il s'est octroyé toutes les gardes de nuit là-haut dans le phare, et au cours des soirées qu'ils passent entre garçons qu'il faut bien animer avec les moyens du bord bien qu'on soit à terre, se déploie une conception un peu homophobique de la masculinité fin de siècle (le 19eme, parait-il) à grands coups de chants de marins, d'anecdotes pas piquées des hannetons et de grandes lampées de tafia englouties cul sec. Le petit Robert va dégringoler de mauvaise surprise en déception intime, et une suite de petites escarmouches verbales engendrera un inconfort relationnel croissant entre les deux hommes, on voit le moment où pour se venger nos compères vont dégrader la note de leur gîte rural sur Airbnb, mais y’a toujours pas le wifi. 
On ne peut qu'assister impuissants et de plus en plus hallucinés à la dégradation de l'humeur de Robert, parallèle à celle de la météo; pour une raison qui restera obscure, nous avons accès aux représentations internes de Robert, mais pas à celles de Thomas (c'est vrai que je ne vous avais pas dit avant que le vieux s'appelait Thomas, mais les identités de nos deux larrons seront de plus en plus fluctuantes et vacillantes au fur et à mesure qu'on s'avance dans le film vers un dénouement qu'on espère éclairant mais qui ne le sera que pour les thuriféraires de la pensée symboliste, car Eggers, comme Lovecraft, conchie l'époque actuelle et sa médiocrité crasse, et semble se réfugier dans une vision passéiste du cinéma pas réactualisée depuis Murnau, bien que son film soit parlant à ce sujet)
Vous visionnez de vieux films, les vôtres se situent au XIXe siècle. Êtes-vous seulement intéressé par le passé ?
Il est vrai que j’aime Dickens, Dostoïevski, Tolstoï, les sœurs Brontë, Mary Shelley, Virginia Woolf, D.H. Lawrence… Je sais que je devrais passer plus de temps à m’intéresser aux œuvres d’aujourd’hui, mais je reviens toujours à celles-là. D’ailleurs ma femme est consternée que je lise si peu de livres écrits après la Seconde Guerre mondiale ! (interview d'Eggers dans Télédrama)
Les faits sont les suivants :
- tandis que le jeune vieillard auto-intronisé Gardien de la Lumière se paye de belles tranches d'on ne sait pas trop quoi toutes les nuits en haut du phare, l’apprenti en est réduit à des rituels magico-religieux assez minables, faut bien dire ce qui est, avec une pauvre idole de bois trouvée dans la bourre de son matelas, n'évoquant que de très loin la féminité ondine ou terrestre.

Les vieilles morues sont en alerte.
- une sirène vient d'ailleurs s'échouer sur les cailloux, promesse d'amour de vacances de travaux forcés avec ses lèvres aguicheuses, mais l'idylle tourne court. Ce n'était sans doute qu'Arielle Dombasle venant vanter les mérites d’un océan sans plastique. (ne cliquez pas sur le lien, ça fait trop peur)
- les locataires précédents du phare, qui avaient pourtant promis avoir pris soin de vidanger la cuve étanche qui collecte leurs déjections en l'absence de tout-à-l'égout, ont sans doute menti, car la voici déjà pleine; et quand on va mettre de la chaux vive dessus, on se fait attaquer par des mouettes acariâtres qui en sont restées aux Oiseaux d'Hitchcock.
- la météo qui devait être radieuse suite à la présence d’un anticyclone au-dessus d'Arkham fraîchit méchamment, il devient temps de sortir les cirés mais par malchance ils ont un peu moisi dans le placard de la buanderie.
Je ne vous en dis pas plus, sinon on va spoiler en s'poilant.

S'ils avaient eu un peu de wifi,
bien des drames auraient été évités
Ces petites contrariétés s’accumulent et viennent gripper un quotidien déjà pas facile à vivre pour nos hommes qui se chamaillent pour des vétilles, s'accusant mutuellement d'incompétence, de mythomanie maritime et qui s'invectivent maintenant dans une atmosphère de huis clos théâtral ranci de rancoeurs recuites et franchement délétère, parce que le vieux émet force pets sonores et odorants, à tel point qu'à chaque fois que y'en a un qui allume sa clope on s'étonne que tout le phare n'explose pas.
Tout ceci étant exposé au sein d'un cadre carré (1.19:1) d'une éprouvante exiguïté, dans un noir et blanc gris charbonneux à peine adouci par un grain synthétique rajouté au papier de verre numérique. On y suffoque comme dans des chaussures trop petites. Sur le plan du stylisme, c’est somptueux, et bourré de références cinéma, théâtre, littérature, Kubrick, Beckett, Richard Corben (pour la taille disproportionnée du vagin de la sirène, qu'on aperçoit pendant une seconde 3 images, je le sais parce que j'ai déjà revendu toutes mes captures d'écran à la criée en ligne de la Turballe)
Ca, y'a pas à se plaindre du côté des alibis culturels, ils sont en béton, et le cinéphile, le vrai, celui qui déteste la vie et s'en protège dans les salles obscures ou devant le vide sidéral de son homecinéma qui lui masque la vacuité de son inexistence, est vraiment à la fête.

C’est aussi un film qui se croit malin et demi; à partir du moment où les faits et les récits qui les encadrent commencent à diverger de façon irréconciliable, on se dit que soit nos amis yoyotent, soit la Réalité se délite. Quand on prétend vous apporter la preuve absolue que vous êtes un gros demeuré alors que votre monologue intérieur validait jusqu’alors une toute autre théorie, bonjour la dissonance cognitive, et c'est alors la porte ouverte aux décompensations psychiatriques. En multipliant les pistes, Eggers n’en valide aucune, nous laissant face à une tache de Rorschach filmique, qui devient le reflet de nos propres névroses.
Quand le film s'achève, on ne sait pas trop ce qu'on a vu. J'ai lu autant de théories distinctes que j'ai parcouru d'articles de blog. Pour ma part, je crois que l’âpreté des conditions de vie des petites gens avant l’avènement du wifi me semble le vrai thème du film, en tout cas le seul qui soit traité un peu sérieusement : les autres sont vraiment esquissés d'une main de fumiste.
Mais chaque plan est tiré au cordeau, et l'intrigue suit son cours implacable.
Peut-être que ces deux-là n'ont été envoyés sur cette ile mystérieuse que pour distraire les songes de celui qui, dans sa demeure de R'lyeh la morte, rêve et attend. Si vous voyez qui je veux dire sans prononcer son nom, ça m'arrange. J'ai déjà bien assez de problèmes comme ça avec les entités.

Robert prépare déjà son prochain film :
l'adaptation du Necronomicon
Au final, on peut se permettre de croire avoir vu :
- un documentaire sur les troubles de la dissociation de personnalité, sous couvert d'un face-à-face mortifère entre deux gardiens de phare (Fight Club, explicitement cité dans au moins une scène de bagarre en état d'ivresse)
- une pochade sur les marins d'eau douce, mythomanes par nécessité : ceux qui restent à terre,  les "rampants" qui se racontent des histoires, puis y croient jusqu'à la déraison pour oublier leur haine d'eux-mêmes. Car plus une personne se trouve nulle, plus en général est aura développé de l'orgueil par-dessus pour arriver à survivre.
- une farce sinistre sur la rouerie du patronat. Mais je venais de voir Robert Pattinson dans une vraie farce sinistre, dont les enjeux ne se révèlent que dans les derniers plans et font qu'on peut sortir en ricanant de la séance, comme si on avait été mordu par un gilet jaune, le cas de The Lighthouse est plus tangent.
- une allégorie de l’aliénation au travail. Haha. Elle est bien bonne.
- une expérience sensorielle inédite où l'on doute souvent de ce que l'on voit, entend, ressent.
- Déposez vos autres suggestions ici.



Quelques pistes pour finir de noyer la sirène :

http://www.allocine.fr/article/fichearticle_gen_carticle=18686495.html

https://www.vox.com/culture/2019/10/15/20914097/robert-eggers-lighthouse-interview-witch

https://explicationdefilm.com/2020/01/03/the-lighthouse/

https://collider.com/the-lighthouse-ending-explained/?amp

https://blogs.mediapart.fr/iconoclash/blog/030120/lighthouse

mercredi 6 février 2019

Aleš Kot, Danijel Žeželj : Days of Hate (2019)

Aleš Kot, déjà connu de nos services, est un agent tchèque émigré qui se dore la pilule sous le chaud soleil de Californie en vivant grassement de ses Agessa. Danijel Žeželj est un migrant croate, et vit lui aussi depuis assez longtemps aux crochets de l'Etat américain.

Complotant ensemble, adeptes secrets de l'effondrologie qui a gagné les intellectuels du Vieux Incontinent qu'ils ont fui, ils choisissent de mordre la main qui les nourrit, en imaginant une dystopie glaçante qui montre les Etats-Unis sous le jour d'une dictature fasciste sans pitié vis-à-vis de toutes les minorités politiques, ethniques, sexuelles. C'est du propre. Quels ingrats. Une poignée d'activistes de l'ultra-gauche tentent de résister au régime de plomb organisé par l'alt-right en vivant chichement dans la clandestinité entre deux attentats anti-establishment.

Pour une fois, Kot fait un effort pour que son scénario de politique-fiction soit accessible au commun des mortels. Certains personnages manquent encore de chair, parfois réduits à des théorèmes fictionnels et murés dans le silence quand ils n'ont rien à nous dire, mais c'est pas mal.
Mieux que quand il plaque son brouet théorique sur un squelette de récit.
Žeželj l'enlumine avec sa technique si particulière du vitrail au charbon de bois, qui ne brille jamais autant que lorsqu'il illustre de longues scènes d'attentes beckettiennes dans des paysages industriels désolés. Après le totalitarisme soft et hédoniste de The New World, voici sa version hard, moins fluide que glaciale. On attend avec impatience l'adaptation en série par HBO, Netflix ou Amazon. Y'aura au moins TTT dans Télérama.


il y a des effets de forêt automnale


des moments d'émotion intense hétéro


des répliques définitives


des villes sous la pluie



des moments d'émotion intense homo


et encore de la pluie, pire que dans Blade Runner.

Chaque fascicule se conclut par une liste de Recommended Media, souvent aussi prétentieuse que les bibliographies jadis placardées par Maurice G. Dantec dans ses livres les plus illisibles, alors que Days of Hate raconte une histoire très simple, même si elle le fait avec beaucoup de chichis tchéquo-croates.
"They can't kill us until they kill us" (chap. 8) par Hanif Abdurraqib me semble une bonne porte d'entrée à l'univers merveilleux des suggestions de lecture de Days of Hate, une fois que vous aurez déjà acquis le fusil à lunettes et les 5 tonnes de phosphate nécessaires à l'entrée pro-active dans la Résistance.
Le second et dernier tome de Days of Hate paraitra en v.o chez Image Comics fin février.
Pour la v.f., je crois qu'on peut se brosser. Le marché français n'est pas prêt.

https://getcomics.info/other-comics/days-of-hate-1-12-2018-2019/



Depuis qu'il a lu Days of Hate, Steve Roach 
se colorise la gueule tous les soirs dans l'Arizona.

mercredi 28 novembre 2018

Dave Gahan - Dirty Sticky Floors (2003)

Je me suis tapé tous les disques des Soulsavers avant de retomber sur cette pépite solo de Dave Gahan que j'avais précieusement extraite d'une compilation de Rock et Folk et archivée dans un format tombé en désuétude : le CD audio en AIFF non compressé
C'est dommage, parce que les mp3 rééchantillonnés ne sont sans doute pas étrangers à mes acouphènes.


The Game of Porcelaine Throne
® Francis Bacon
Waiting for the last time
For my friend to change my mind
Waiting for the last drop
Seems like a long, long time
Maybe I should go back home
I'll sit and wait right by the phone
Praying over the porcelain throne
On my dirty sticky floor
Ask me what I want
Easy, that's just more
How long will I wait for you?
Twice as long as I did before
Standing in the freezing snow
Maybe you left I just don't know
I'll soon be lying on my own
On some dirty sticky floor

Gahan a déclaré que la chanson, qui se moquait de sa dépendance à l'héroïne, "traite du côté soi-disant glamour du rock'n'roll, et se termine sur un sol sale et collant chaque nuit, des toilettes terribles dans un club ou - la plupart du temps - mon propre sol sale et collant dans ma propre salle de bain."

jeudi 12 janvier 2017

Köhnen Pandi Duo - Darkness Comes In Two's (2017)

Jason Köhnen (The Thing With Five Eyes, ex-The Kilimanjaro Darkjazz Ensemble) and Balazs Pandí (drummer for Merzbow, Keiji Haino, Jamie Saft, Mats Gustafsson a.o). 


Köhnen and Pandí release their first live improv album as the Köhnen Pandí Duo.
Recorded on November the 23rd in Aurora, Budapest, Hungary. 45 minutes of intense dark/ambient/jazz reminiscent of Köhnen's previous improv band The Mount Fuji Doomjazz Corporation.



lundi 9 janvier 2017

Crève, Sharon ! (2016)



Le 18 novembre, Sharon Jones est morte à l’âge de 60 ans, des suites d’un cancer du pancréas. Diva funk et soul, véritable bête de scène, la chanteuse new-yorkaise a connu un parcours pour le moins singulier. Dans les années 1980, elle chante dans les mariages tout en étant gardienne à la prison de Rikers Island ou convoyeuse de fonds. Ce n’est qu’à 40 ans passés que sa carrière démarre véritablement grâce au label Daptone Records, l’un des principaux instigateurs du revival soul dans les années 2000. Viennent ensuite six albums enregistrés avec les fidèles Dap-Kings, le groupe phare du label, qui la conduiront lentement mais sûrement jusqu’à la gloire.

vendredi 9 décembre 2016

Ben Frost – The Wasp Factory (2016)

Extraits du teaser : (…)


Setting his unwitting characters against the backdrop of vast, implacable forces of nature—storm, sea, fire, and even their own madness— Frost reaches deep into his formidable arsenal to reveal an unexpected warmth, from the composer of electronic experiments like AURORA and Theory of Machines. The focus here is on the live sound of the Reykjavík Sinfonia, recorded in Abbey Road’s Studio II and, for the first time, the human voice. He sets David Pountney's Libretto to tuneful, even soulful vocal lines; an extraordinarily unreliable narrator describing scenes of extreme violence and horror in music of incongruous loveliness. (…)
Frank is no ordinary boy. The sardonic, misogynistic antihero of Frost’s opera, The Wasp Factory – libretto by David Poutney – is a young psychopath, a sort of mad scientist manipulating human beings like insects in a depraved behavioural experiment. Born and raised off the grid on an isolated island and warped by brutal trauma, he recounts, in a series of monologues, the obsessive rituals, up to and including dispassionate human sacrifice, with which he attempts to find the balance and order hidden in the seeming chaos of an indifferent universe.
(…) Rather than attempt to represent his protagonist onstage with a singing, acting boy, Frost infamously cast an ensemble of 3 women to give voice to his dissociated internal monologues: Lieselot De Wilde, Jördis Richter and Wildbirds & Peacedrums' own Mariam Wallentin. And just as he did with the highly detailed instrumental writing on his albums like AURORA or Sólaris (composed with Daníel Bjarnason), here Frost creates a seamless collaboration of performer and interpreter, each singer and each player fully and sensitively inhabiting their respective nuanced parts. And the recorded result defiantly stands apart from the realm of traditionally “classical recordings”, framing in the highest definition every moment of this studio performance - the confrontationally close breath of strings and vocalist alike push and pull against a range of digital shapes and textures. 
The Wasp Factory is not too far from those albums in terms of continuity with Frost's thematic obsessions. Like Sólaris, which was inspired by another so-called "sci-fi" novelist's literary masterpiece, The Wasp Factory asks what it means to be a human being, and what happens when that human being gets lost in the labyrinth of his own psyche. And like AURORA, and By the Throat, it asks where—and whether—the boundary can be drawn separating the human animal from the terrible, destructive brutality of nature.

Ben Frost ?
LE Ben Frost de Solaris ?
Avec la chanteuse de Wildbirds and Peacedrums ?
Adaptant en opéra Le Seigneur des Guêpes de Iain Banks ?
Plus arty, tu meurs.
Là, tu meurs moins bête.
Mais tu meurs quand même.



https://benfrost.bandcamp.com/album/the-wasp-factory

dimanche 22 mai 2016

A l'enterrement de J.G.


Pratique de l'oraison funèbre.

Il y a chez moi une pensée magique non opérative mais bien ancrée, qui croit que s’affubler du masque de la Mort protège de la Mort.
(La pensée magique, c'est celle qui nous fait penser que les pratiques ont une vertu par elle-mêmes, même si nous n'en sentons pas l'effet, disait Daniel.) 
L'antidote à cette croyance erronée, c'est l'attitude de J.G. face à sa mort.
En 3 jours, il a traversé les phases du deuil (Déni, Colère, Marchandage, Dépression, Acceptation) et il était prêt à partir. Pourtant, s’il y a bien quelqu’un qui aimait la vie et qui en jouissait par tous les trous, c’était lui. Jamais vu un épicurien déconneur de ce calibre, et bien que je ne l’aie pas fréquenté en dehors du boulot, je ne pense pas que son recours au second, voire troisième degré permanent masquait une affliction mélancolique secrète. Je regrette de n’en avoir pas mené large lors de ma visite la veille de son décès qu’il avait programmé, m’a-t-il dit, pour éviter de devenir un zombie de 23 kgs du fait de son cancer foudroyant et incurable. Et j’ai oublié de lui faire la blague :
« tu sais pourquoi en Alsace y’a marqué PF sur les convois de Pompes Funèbres ?
- Pon Foyache ! »
Il s'était défait de tous les attachements en un temps record.
La question qu'il a posée malgré lui à ceux qui lui ont rendu visite dans ses derniers moments, ce n'est pas tant "Et moi, serai-je à la hauteur ?" que "Et moi, est-ce que je suis en vie ?"


mercredi 18 mai 2016

J.G. est mort

J'ai bien fait d'aller le voir hier.
C'est les meilleurs qui partent les premiers.
C'est pas à E.G. que ça arriverait.

mardi 17 mai 2016

J.G. est vivant

Je me dis que je peux aller voir J.G. demain après-midi, s’il est toujours là. J’appelle V. pour savoir dans quel pavillon il est. Elle me dit qu’ils vont le débrancher ce soir (il est sous oxygène), que demain il sera trop tard. Alors ça me prend comme une envie de chier, j’y vais pendant ma pause déjeuner. Pas de tramway, du fait de la manif contre la loi travail. Tant pis. Pedibus cum jambis. Des tas de gens sillonnent la ville dans une atmosphère bon enfant, hormis les grappes de CRS massés aux points stratégiques, lourdement casqués et armés. Une fois sorti du centre-ville, les tramways assurent le traffic vers la périphérie. Quand j’arrive dans la chambre de J.G., il est en train de manger une assiette de boeuf-carottes de bon appétit, en pyjama d’hôpital, ces sortes de longues blouses en papier bleuté qui s’arrêtent au genou. Il n’a pas l’air du tout d’être en train de mourir. D’ailleurs, c’est bête, d’avoir écrit « J.G. est en train de mourir » : on peut parfois agoniser, mais « être en train de mourir », ça n’existe pas. La mort est un bref passage, l’inverse de la naissance, pas de la vie. La vie n’a pas de contraire. J’ai dû lire ça chez les bouddhistes. Les collègues qui sont arrivés avant moi pour rendre visite au mourant (sic) me disent qu’il leur a dit que tant de monde venait le voir qu’il avait repoussé sa mort au lendemain. Ils s’en vont en sanglotant. Je comprends que c’est éprouvant de converser avec quelqu’un dont on sait qu’il sera mort demain. Nous voilà seuls. Je fais quelques blagues, je lui demande où ça en est cette petite black qu’il devait me présenter à Noël 2013, il me répond que c’est assez mal engagé. Il est serein, il a mis sa maison en ordre, et préfère qu’on le débranche plutôt que de descendre à 23 kgs, vu qu’il a un cancer génomique (?) incurable. Il me remercie d’être venu le voir, malgré notre peu d’intimité, on a passé de bons moments ensemble au boulot quand moi-même j’étais un « rigolo » (quelqu’un qui se complait dans un rôle de personnage facétieux ou grotesque, trait de caractère que nous partagions et qu’il n’a jamais abandonné). Je lui dis d’aller vers la lumière, il me répond « je sais, Inch Allah ». Je me sens mal, je m’asseois sur la chaise, puis par terre, m’excusant de peut-être tourner de l’oeil, la charge émotionnelle d’assister au dernier repas du condamné est trop forte. Je regarde ses pieds nus, stupidité par mon malaise. Il me tend son brumisateur, je m’hydrate, mais je dégouline de sueurs froides, et ça continue à tourner. La conversation s’épuise rapidement, je l’embrasse et lui dis au revoir, et à un de ces jours, et je sors de sa chambre, les jambes flageolantes. Je me fais serrer dans l’ascenceur par des infirmières qui me trouvent un peu décomposé, me forcent à m’asseoir dans le hall, me font boire une petite bouteille d’eau et manger un sachet de sucre. Je me dis que mon fils, qui n’habite pas très loin, va me payer un café. Je l’appelle, il rentre juste de la manif, on n’a pas bouffé, je l’invite à déjeuner au burger d’à-côté, c’est son anniversaire, il est content. Il me dit de ne pas être triste, que la vie continue. C’est aussi ce que m’a dit J.G. Je regrette de ne pas lui avoir demandé s’il avait aimé et été aimé, mais ça ne me regarde pas.

samedi 14 mai 2016

J.G. est en train de mourir


Il est à l’hôpital depuis 1 semaine et demie, il y est entré pour des examens, il avait de l’eau dans les poumons. Ils lui ont trouvé un cancer du poumon qui s'est généralisé, des métastases partout.
Il va mourir, c’est une question de jours.
Faut pas aller à l’hôpital.
Pour l’instant il est dans le déni, faut le comprendre, il devait sortir hier.

Je le connais parce qu’il est journaliste, qu’on a travaillé ensemble, que c’est un bon camarade, toujours prêt pour la déconne. Un peu trop, d'ailleurs. Il est incapable de parler sérieusement. Il s’était spécialisé dans le fait divers sordide, il connait tous les flics et tous les avocats de la région. Toujours de bonne humeur. Il a deux filles de 10 et 12 ans, dont je connais bien la maman (séparée de J.G.) pour l’avoir emmenée quelques semaines en réunions A.A. avant qu’elle décide que les bondieuseries, ça allait bien comme ça, et que les A.A. c’était une bande de culs bénits, et qu’ils aillent se faire voir. Je sais qu’elle repicole de plus belle, elle ne m’appelle plus. Je ne vais pas lui courir après, l’attrait vaut mieux que la réclame.

Les autres trucs avec J.G, c'est qu'il a toujours vécu sa vie comme un acteur comique. Il jouait un rôle de sa composition, comme un autre J.G : José Garcia dans Rire et Châtiment. Le mec tellement drôle, tellement dans la joke infinie (j'ai vu J.G psalmodier pendant des jours le discours en pseudo-allemand de Charlie Chaplin dans le Dictateur, ou parfaire son imitation de Jean-Marie Le Pen) que sa femme se barre tellement elle en a marre de vivre avec un plaisantin. Dans le film comme dans la vraie vie de J.G.

Comment va-t-il se confronter à la mort ?

Dans l’Infinie Comédie, livre-monde illisible de 1500 pages et de David Foster Wallace, que je lis en pénitence de mes péchés contre l’esprit (je ne commets plus de péchés contre la chair car je n’ai plus les moyens) je tombe sur ce passage, sans doute inspiré des longues conversations que l'auteur a eues avec les A.A. de Boston :

« Pendant un Engagement du groupe Drapeau blanc chez le Groupe Ça Fait Chier Mais Faut Pas Boire Quand Même à Braintree en juillet dernier, Don G., sur l’estrade, confia publiquement sa honte de n’avoir toujours pas bien compris ce qu’était une Puissance Supérieure. La 3e des 12 Étapes des AA de Boston consiste à orienter sa volonté Malade vers l’amour de « Dieu tel que nous Le concevons ». La liberté de choisir son propre Dieu est l’un des arguments les plus vendeurs des AA. Vous fabriquez vous-même votre propre conception de Dieu ou d’une Puissance Supérieure ou de Qui/Quoi que ce soit. Or Gately, au bout de dix mois d’abstinence, sur l’estrade du CFCMFPBQM à Braintree, explique qu’il est totalement désemparé et pense qu’il est peut-être préférable que les Crocodiles du Drapeau blanc le secouent par les revers de son blouson et lui disent clairement quel est le Dieu des AA, lui donnent des ordres dogmatiques et stricts afin qu’il puisse enfin orienter sa volonté Malade vers cette fameuse Puissance Supérieure. Il a déjà observé que certains catholiques et fondamentalistes devenus des AA avaient depuis l’enfance la notion d’un Dieu sévère et punitif et il les a entendus exprimer leur Gratitude aux AA de leur avoir permis de passer à une autre notion, celle d’un Dieu aimant, miséricordieux et nourricier. Mais ces types-là avaient au moins une notion, merdique ou non, de Lui/Elle/Ça comme point de départ. On pourrait penser que c’est plus facile, justement, d’Entrer avec zéro schéma conceptuel ou nominal, que c’est plus facile d’inventer un Dieu Supérieurement Puissant à partir de nib et de s’en forger une idée, mais Don Gately assure que ça n’a pas du tout été le cas pour lui jusqu’ici. Ce qui se passe, c’est qu’il suit les conseils spécifiques parcimonieux des AA, s’agenouille chaque matin pour demander de l’Aide, puis chaque soir au coucher pour dire Merci, qu’il ait l’impression de parler à Quelqu’un/chose ou non, et qu’il a réussi à rester sobre jusqu’à ce jour. Mais sa « conception » de « l’angle Dieu », après dix mois de concentration et de réflexion à s’en faire fumer les esgourdes, s’arrête là. Publiquement, devant des AA plutôt durailles et peu enclins à la rigolade, il déclare, à la fois comme un aveu et une plainte, qu’il se sent comme un rat de laboratoire auquel on a appris un seul itinéraire pour atteindre le fromage et qui trottine, trottine ratiquement dans le labyrinthe. Le fromage étant Dieu dans la métaphore. Gately n’arrive pas encore, dit-il, à accéder à une Vue d’Ensemble spirituelle. Le rituel des prières quotidiennes S’il vous plaît et Merci lui donne l’impression d’être un batteur au base-ball qui aligne les coups gagnants et qui, par superstition, refuse de changer de slip, de chaussettes et de routine d’avant-match tant que la série continue. La sobriété étant la série de coups gagnants, explique-t-il. Le sous-sol de l’église est complètement bleu de fumée. Gately trouve que c’est là une conception assez bancale d’une Puissance Supérieure : un itinéraire fromager ou un athlète pas lavé. Il dit que, quand il essaie de dépasser les formules élémentaires automatiques apprises par cœur, du genre Aidez-moi-à-tenir-encore-une-journée-s’il-vous-plaît, quand il s’agenouille à d’autres moments pour prier, méditer, tenter d’arriver à une Vue d’Ensemble spirituelle haut de gamme d’un Dieu selon son entendement, eh bien alors là, c’est le Néant – pas simplement rien mais le Néant, un vide sans limite qui lui paraît pire encore que l’espèce d’athéisme irréfléchi qui était le sien quand il est Entré. Il dit qu’il ne sait pas s’il s’exprime bien, si tout cela a un sens ou si c’est juste symptomatique d’une volonté et d’une « spiritualité » absolument Malades. Et le voilà en train de confier au public de Ça Fait Chier Mais Faut Pas Boire Quand Même des pensées douteuses et obscures qu’il n’aurait jamais osé exposer, d’homme à homme, à Francis le Féroce. Il n’a même pas les couilles de regarder F. F., dans le rang des Crocodiles, au moment où il avoue que cette histoire de conception de Dieu lui donne envie de gerber de trouille. Quelque chose qu’on ne peut ni voir, ni entendre, ni toucher, ni sentir. Ça, d’accord, à la rigueur. Mais quelque chose qu’on ne peut même pas ressentir ? Parce qu’il en est là quand il cherche une entité quelconque à laquelle il pourrait adresser des prières sincères. Le Néant. Quand il essaie de prier, voilà ce qu’il voit dans sa tête, voilà l’image qu’il se fait de ses prières, des ondes cérébrales, un flot ininterrompu, qui irradient sans fin dans l’espace, au-delà de lui-même, sans jamais rencontrer quoi que ce soit, encore moins quelque chose avec des oreilles. Surtout pas quelque chose avec des oreilles, qui l’écouterait un tout petit peu sans s’en tamponner le coquillard. Ça lui fout vraiment les boules, il a honte de parler de ça au lieu de se féliciter d’avoir passé une journée de plus sans ingérer de Substance, seulement voilà, c’est comme ça. Et puis c’est tout. Il n’est pas plus avancé, rapport à la 3e Étape, que le jour où le contrôleur judiciaire est venu le chercher à la maison d’arrêt de Peabody Holding pour le conduire en désintox. Cette idée de Dieu le fait gerber, c’est tout. Et lui fait peur.
Et ça recommence, toujours pareil. Le groupe de gros fumeurs de CFCMFPBQM se lève, applaudit, les hommes sifflent avec deux doigts et rappliquent pendant la pause-tombola pour lui serrer la pogne ou parfois même essayer de l’embrasser.
On dirait que chaque fois qu’il se laisse aller à révéler publiquement tout ce qui foire dans son abstinence, les AA de Boston lui tombent dans les bras pour lui répéter que c’était bon de l’entendre, qu’il doit Continuer à Venir, pour eux sinon pour lui, quelle que soit la signification de cette putain de formule. »


C’est assez bien vu, à défaut de parler aux gens qui ne fréquentent pas les A.A. J'ai eu longtemps les mêmes problèmes que Don Gately. Je crois que je peux me préparer à retourner aux AA après la mort de J.G. avec son ex. Ca ne peut pas me faire de mal, je suis un peu en dehors du programme depuis quelques années. Faut juste qu'elle ait à nouveau envie de s'en sortir.

Aujourd'hui elle doit amener ses filles à l'hôpital pour qu'elles disent au revoir à leur papa.

Ce qui me fait chier, c'est que J.G. avait arrêté de fumer sans difficulté il y a 10 ans, que le cancer du poumon l'a pris en traitre au lieu de s'attaquer à un(e) journaliste de la station dont je tairai le nom qui a eu son diplôme dans une pochette surprise, et que J.G. n'a pas eu le temps de faire ses valises ni de nettoyer sa maison avant son départ proche, contrairement à mon ami J.M, qui a eu trois ans de chimio pour se préparer avant de nous quitter en juin dernier.
J'éprouve donc un sentiment d'injustice divine, malgré mon peu de représentations religieuses.

L'autre truc qui me fait chier, c'est qu'à un Noël récent, je m'étais ouvert à J.G. de mes tendances blackophiles, et que lui, toujours le coeur sur la main, m'avait promis de me présenter une de ses copines bien bronzées pour que je lâche le fantasme pour la réalité. Là, ça me parait assez mal engagé. 
Tu fais chier, J.G.